Fait le 24/04/2002.
Ils n'ont donc rien compris ?
Bon. M. le Pen figure au second tour de l'élection présidentielle. Triste, très
triste. Et puis ? La République est-elle menacée ? Non. L'électorat d'extrême-droite
représente seulement 12% à 13% des personnes en état de voter, inscrits et non-inscrits.
Je dis bien, d'extrême-droite, le Pen même n'en formant qu'environ 10%. C'est beaucoup,
ce n'est pas énorme, comme on tente en ce moment de nous le faire croire. Considérant
que moins d'un tiers de cet électorat, donc au plus 4%, adhère réellement à l'idéologie
du Front national, ça limite considérablement l'impact de ce "vote extrême". Par contre,
les réactions, tant au sommet que dans la rue, ne laissent de provoquer en moi un
certain malaise, et même, un malaise certain. Ce n'est pas par l'intolérance qu'on
combat l'intolérance. Ça rend aveugle, ça fait dire et faire n'importe quoi, surtout,
ça amène à des prises de position absurdes et désastreuses.
Étant de gauche, je m'adresse d'abord à ceux qui se sentent de gauche: ne votez
pas Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle ! Il ment, il vole,
il triche, il détruit la crédibilité des institutions, il est d'une droite à peine
moins extrême que celle de le Pen. Les caciques socialistes, communistes et Verts,
les journaux "de gauche", et même, maintenant, Le Canard enchaîné, en appelant
à un "front républicain" font la même erreur que les partis social-démocrates des
années 30 et 40: la gauche ne peut faire barrage à l'extrême-droite en appelant à
voter pour la droite dite classique ou modérée, qui quand les besoins s'en font
sentir (européennes de 1998, législatives de 1987), n'hésite jamais à se
compromettre avec l'extrême-droite pour préserver ses positions. L'appel des élus
et responsables de la gauche dite de gouvernement contre le Pen est désastreuse à
plusieurs titres.
D'abord parce que qu'ils cherchent en tout premier lieu à masquer leur propre
responsabilité: vous ne vous en souvenez peut-être déjà plus, c'est il y a déjà
plusieurs semaines, autant dire des temps préhistoriques, tous ces premiers prix de
vertu qui veulent faire aujourd'hui barrage au FN se sont répandus dans tous les
médias pour dire qu'il serait inadmissible qu'une personne représentant un
"courant d'opinion" de plus de 10% de l'électorat ne puisse démocratiquement
se présenter.
Il faut être cohérent: soit le Pen représente un "courant d'opinion", et en ce cas sa
présence au second tour est une possibilité parmi d'autres, soit c'est l'incarnation du
racisme et du fascisme, et dans ce cas, on ne se mobilise pas dans les médias pour
qu'il puisse figurer à l'élection ! Je ne dis pas, et surtout, je ne veux pas
qu'on me fasse dire que ce sont les socialistes, communistes et Verts qui ont "fait
monter" le FN, ou plutôt le vote le Pen, par contre, je dis qu'on ne peut pas juger le
20 avril que la présence d'un candidat crypto-fasciste au scrutin est légitime, et le 21
avril, sa présence au second tour illégitime.
Ensuite, et bien plus catastrophique, parce que Jacques Chirac "surfe sur la vague"
avec délectation, et commence déjà un travail, qui risque de se révéler efficace, de
relégitimation. Déclaration de l'impétrant, le 23 avril à Rennes:
«Ce combat est le combat de toute ma vie. C'est un combat moral»;
«Je ne peux pas accepter la banalisation de la violence et de la haine. Pas plus que
je n'ai accepté dans le passé l'alliance avec le Front national, quel qu'en soit
le prix politique, je n'accepterai demain le débat avec son représentant»; «Je veux
que cette élection ne soit pas confisquée par l'obscurantisme, la haine, le mépris.
Je ne veux pas que la nation cède au vertige de la peur»;
et, clou des promesses qui, comme il aime à le dire, "n'engagent que celui qui
y croit", celle «en ces temps incertains et marqués par une menace nouvelle,
d'incarner l'unité nationale».
C'est ainsi. Oubliée la campagne où l'on remuait la peur, où l'on banalisait
la haine, oubliées les municipales de 1987 où les états-majors ont cautionné les
alliances entre droites "classique" et extrême, les européennes de 1998 et le silence
criant de Chirac sur les compromissions ici et là; oublié le temps où, activiste de
la «banalisation de la violence et de la haine» il nous parlait des bruits et
des odeurs, de ces familles qui faisaient des enfants pour toucher les allocations
familiales… Quant à parler de «combat moral», on ne sait trop si ça prête
à rire ou à pleurer… Et pour ce qui est du refus du débat, on soupçonne qu'il est
plus dû à son inutile crainte d'être mis en cause de toute autre manière qu'avec
les joutes polies entre politiciens "convenables" ou les interviews obséquieuses de
PPDA qu'au fait de ne pas vouloir s'adresser au «représentant […] de la violence
et de la haine».
Ne votez pas Chirac, peuple de gauche !
De toute manière, il passera largement en tête, le rapport des seules voix de
droite avec celles de l'extrême-droite est 3 pour 2, et en outre, comme d'habitude
25% à 30% de ces électeurs "inutiles" du premier tour se reporteront sur la droite
"utile", donc, votez plutôt blanc.
Contrairement au discours de tous les ténors de la gauche, il me semble que le
vote massif pour Chirac serait, non pas un "front républicain" contre la "bête immonde"
mais bien un blanc-seing pour lui permettre pendant deux semaines de dérouler sa
campagne sans qu'on le conteste. Comment MM. Strauss-Kahn, Hollande, Hue, Mmes Guigou
ou Buffet, pourront-elles, pourront-ils être crédibles s'ils critiquent celui pour
lequel ils appellent à voter ? Inversement, comment seront-ils crédibles s'ils ne
le critiquent pas ? La réaction intelligente et seule valable pour elles et eux aurait
été, dès l'annonce de la présence de le Pen au second tour, de rebondir sur la dérive
du discours sécuritaire tout au long de la campagne.
Seulement, il y a un petit problème… Et oui, la gauche aussi a participé
à cette dérive. Du moins, cette gauche là. Jusqu'à proposer de rétablir ces
institutions dont même Peyrefitte avait compris que loin de d'être "correctives",
elles contribuaient à enfoncer les mineurs dans la délinquance, je veux parler des
maisons de corrections, rebaptisées dans la plate-forme du PS des «structures
fermées» dans lesquelles Jospin se proposer de «développer l'accueil des
mineurs». Dans le projet socialiste, il y a quatre pages sur trente-cinq consacrées
à, non, pas l'insécurité, mais la sécurité. Dans un France insécure…
Les gros titres sont croquignolets. Sur la moitié de la première des pages concernées,
en énorme, «Une France SÛRE»; gros titres de la deuxième page:
- Un Contrat national de sécurité, pilier de la cohésion sociale
- Un ministère de la Sécurité publique pour assurer la coordination entre
la police et la gendarmerie
- Un dispositif renforcé pour prévenir et punir la délinquance des mineurs
Je vous certifie que ceci vient du «Projet pour Présider Autrement» de
Lionel Jospin, et non de la plate-forme électorale de Jacques Chirac.
Page suivante, ça n'est guère plus relevé:
- Les procédures de comparution immédiate seront étendues
- Des structures fermées pour les mineurs récidivistes
- Une police européenne opérationnelle
Et pour finir, une citation du ministre candidat: «Je refuse l'impunité: tout
délit doit trouver sa sanction». Positivement, voter Jospin ou Chirac, je ne
voyais pas la différence. Du coup, j'ai voté pour une personne qui avait de vraies
propositions de gauche, loin du discours sécuritaire à la mode parmi la plupart des
"partis de gouvernement". Et je ne crois pas avoir voté "inutile".
Pour conclure, au premier tour je n'ai voté ni le Pen, ni Chirac, parce que je
les considère aussi odieux l'un que l'autre, au deuxième tour, je ne voterai
ni le Pen ni Chirac. J'attends le troisième tour…
Addendum, le 25/08/2002.
Curieuse situation: actuellement, Chirac et sa fine équipe réussissent à appliquer
conjointement les programmes de Le Pen et Jospin… en appliquant le leur propre
(qui, on le rappelle, était justement un mix entre les deux autres).
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